Saint Nicolas
Ce soir en revenant d’Uzès, sur la route toute droite qui me ramène à Cruviers, juste après le rond-point dit désormais « de Mayac », vous savez : ce fameux rond-point pourtant si utile mais qui gâche à jamais la belle perspective de cette belle route toute droite bordée de platanes centenaires, juste à la hauteur où s’élèvent sur le côté, un collège, un gymnase et un lotissement dont la couleur des murs blancs surprend dans un pays où tout est ocre, doré par le soleil, j’ai rencontré un vieux monsieur avec son âne qui marchait péniblement vers la cité ducale, emmitouflé sous une grande cape pour se protéger du « mistral » qui a balayé les nuages amenés hier par le « marin ».
La « foire aux mulets » qui avait lieu au Portalet, près de la Fontaine des Abreuvoirs, au mois de novembre ayant désormais disparu de nos calendriers je me demandais qui était ce retardataire. Curieux je me suis approché.
« Bonsoir Monsieur ! » L’homme releva la tête. « Oh !..euh ! pardon ! Bonsoir Monsieur… Saint Nicolas ! » C’était saint Nicolas ! Eh oui, demain c’est sa fête. Il m’expliqua qu’il allait à Uzès, pour voir s’il aurait plus de chance dans ce pays de « parpaillots » que dans son Nord d’origine, car les médias ayant fait leur travail de désinformation avec la fête d’Halloween, et le pères « Noël » vert ou rouge pullulant ici et là à grand renfort de décorations et autres, sa réputation en avait pris un sacré coup. Même la télévision nationale n’a pas parlé de lui ce soir !
Peut-être qu’à Uzès, « premier duché » de France, ancien évêché… « Tout se perd mon brave Monsieur, tout se perd.. peut-être qu’à Uzès.. pays de tradition, secteur « sauvegardé ».. peut être que ».. !
Après notre court échange, le saint homme a repris son chemin sur la montée de Mayac., poussé par le vent.
J’ai cru l’entendre parler. A qui diable (sic !) parlait-il puisque il était seul ? et en tendant l’oreille, j’ai même entendu une voix qui lui répondait. Si, si je vous assure !
Intrigué, j’ai fait un demi-tour avec ma trottinette et je me suis approché le plus possible, discrètement. Saint Nicolas dialoguait avec son âne !
Grâce aux techniques modernes et à mon téléphone portable aux multiples fonctions j’ai pu enregistrer, avec son autorisation, ce dialogue.
Le Vénérable évêque a bien voulu m’en autoriser la diffusion. Il a même paru assez satisfait de savoir, que par mon intermédiaire, ses paroles parviendraient aux oreilles de quelques-uns. « Ce sera toujours ça de pris » dit-il !
Je suis vite reparti sur ma trottinette pour vous diffuser sans tarder ce document. Mais n’avais-je pas rêvé ? J’ai freiné, suis reparti en arrière… plus rien sur la route à l’horizon. Il avait disparu. Il ne me reste plus que ce texte que je viens de m’empresser de retranscrire à votre intention :
«- St Nicolas : Mon bon âne vous m’inquiétez. Vos oreilles ne sont plus vers le ciel dressées et votre poil est tout hérissé. Votre santé serait-elle affectée ? votre picotin serait-il diminué ?
-L’âne : Je n’ai plus faim. Je n’ai plus goût à rien.
-St Nicolas : Et peut-on connaître, cher âne, la cause de ces langueurs ? Auriez-vous quelque chagrin ? M’auriez-vous caché quelque souci ?
-L’âne : Il s’agit, Monseigneur, de ce que vous ne devinez pas ce qui se dit autour de vous. Je sais bien, Monseigneur, que vous ne pouvez pas comme vos collègues d’en bas vous présenter en clergyman bien que cette tenue redevienne à la mode avec nos jeunes curés plus que jamais traditionalistes. Ce ne serait plus vous. Mais avec votre haute taille, votre mitre dorée et votre crosse tapant sur le macadam, vous ne pouvez pas écouter ce que les gens disent. Tandis que moi qui trottine à leur niveau, j’entends très bien ce qu’on raconte aujourd’hui sur notre compte à nous deux.
-St Nicolas : Ah ! et qu’est-ce que nos pieux fidèles racontent ?
-L’âne : D’abord, ils ne sont plus ni pieux ni fidèles. Ensuite, sauf votre respect, Monseigneur, ils racontent une énormité : Ils prétendent avoir lu dans les journaux que sur la liste des Saints, votre nom- je vous demande pardon- aurait été rayé.
-St Nicolas : Mon bon âne, vous avez mal lu votre journal. Le calendrier liturgique revu et corrigé depuis Vatican II comportait en effet de gros changements. Mais pas celui-là.
-L’âne : Eh depuis quand donc ces changements ?
-St Nicolas : Depuis un décret signé le 14 février 1969 à Rome par notre bon Pape Paul VI, mais dont beaucoup de journalistes ont parlé sans jamais l’avoir lu.
-L’âne : Et qu’est-ce qu’il y avait dans ce décret ?
-St Nicolas : Dans ce décret, il y avait des dégagements, des regroupements, des déménagements, et hélas, des enterrements.
-L’âne :, Monseigneur, qu’est-ce que vous entendez par dégagements ?
-St Nicolas : C’est expliqué par un texte du Concile : « Pour que les fêtes des saints ne l’emportent pas sur les fêtes qui célèbrent les mystères mêmes du salut, le plus grand nombre d’entre elles seront laissées à la célébration de chaque église, nation ou famille religieuse particulière. »
Ainsi du mois de Mai qui comportait jusqu’à 22 fêtes de saints obligatoires, on en a « dégagé » 17, y compris nos célèbres « Saints de Glace » Pancrace, Servais et Mamert ont disparu, bien que Mamert, évêque de Vienne, soit à l’origine des fameuses prières des Rogations qui ont été remise dans l’actualité à cause de nos périodes de sécheresse. Certes on y gagné la Sainte Estelle qui tient tant à nos félibres. Mais cette réforme à permis de bien mettre en valeur le temps de l’Ascension et de la Pentecôte.
-L’âne : Ca je comprends. Mais, Monseigneur, que voulez-vous dire par « regroupements » ?
-St Nicolas : Mon âne, vous avez lu dans les journaux que St Gobain et Pont à Mousson se « regroupaient » , tout comme Francetélécom, Veolia et bien d’autres. Cette méthode de concentration industrielle, l’Eglise l’applique désormais dans son calendrier. Ainsi par exemple, Michel, Gabriel, et Raphaël, les trois archanges, sont regroupés dans un seul jour de fête unique : le 29 septembre par la fête de Archanges.
-L’âne : Et qu’entendez-vous par « déménagements » ?
-St Nicolas : Il y a les déménagements proprement dits par souci historique. Ainsi Saint Vincent de Paul étant mort le 26 septembre 1660, on le fête désormais ce jour-là exactement et non plus le 19 juillet comme jadis.
Mais il y a surtout des aménagements par souci géographique. Si au IV e siècle, l’Eglise était localisée autour de la seule Méditerranée, aujourd’hui elle doit être partout. On laisse donc aux Eglises d’Asie ou d’Afrique le soin d’honorer leurs saints en priorité sur les saints latins du Moyen Age. Bien entendu les fêtes de la Sainte Vierge ou de Saint Pierre restent immuables partout. Ainsi de nouveaux saints sont apparus dans nos calendriers. Y compris des noms curieux sur les calendriers du facteur. D’ailleurs désormais nos chaines de télévision ne disent plus désormais, demain « nous fêtons la saint… » C’est une adaptation à l’actualité, au titre d’un soit respect de la laïcité !
-L’âne : Et vous ne parlez pas des « enterrements ».
-St Nicolas : Hélas, il faut bien aborder ce pénible sujet. J’avais d’ailleurs depuis longtemps quelques appréhensions. Si mes parcours célestes me donnent la joie de fréquenter mes compagnons d’auréoles, j’étais par contre étonné de ne jamais rencontrer celui que les humains appellent Saint Christophe, par exemple.
Or, sur Christophe fêté en juillet ou sur Catherine d’Alexandrie, dont on parle surtout à cause des plantes et arbres qui prennent plus facilement racine après le 25 novembre, on ne possède pas vraiment de document historique ; « Ils ont été supprimés du calendrier général. L’Eglise a estimé que le peuple chrétien ne peut être invité à une prière officielle que dans la vérité »
-L’âne : Et nous alors ?
-St Nicolas : Nicolas est maintenu au nouveau Calendrier Romain Général. Seulement, je rentre dans la catégorie des saints « localisés », c'est-à-dire que mon culte n’est obligatoire que dans les régions qui me sont depuis toujours fidèles, la Lorraine par exemple.
-L’âne : Et Rome alors, nous n’irons plus à Rome ?
-St Nicolas : Si cher âne. Vous savez bien qu’à deux pas de la magnifique Place Navone, nous sommes attendus à l’Eglise Saint Nicolas des Lorrains.
Et notre tournée de Décembre se terminera en cette chapelle traditionnelle près une visite à la « Befana » des enfants romains.
-L’âne : Et le Père Noël ?
-St Nicolas : Cher âne, le Père Noël, sans origine historique, sans aucune base religieuse est mort et enterré. Mais moi, avec les prisonniers que j’ai délivrés, avec les enfants que j’ai sauvés, avec mes sanctuaires d’Asie Mineure et d’Italie et de Rhénanie, je suis vivant et survivant. Aussi mon cher âne, n’écoute plus ces porteurs de faux bruits.
-L’âne : Je leur dirai que ce sont des âneries.
-St Nicolas : Je ne te le fais pas dire. Amen »
Une partie de ce texte est une parodie, en forme de clin d’œil d’un texte de Jean Rodhain qui fut mon « patron » et a été publié après sa mort, dans « Derniers Messages ».
En mémoire de quelques Saint disparus du calendrier, et de quelques traditions qui se perdent, pour votre plaisir et le mien, en guise d’introduction aux prochaines fêtes de Noël !.
Bonne Saint Nicolas 2023
Jean Mignot
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