Amicale du Réseau Caritas-France

Amicale du Réseau Caritas-France

Pour les plus pauvres, une double peine

Article paru dans le Monde du 18 mars 2020


La fermeture des restaurants et les mesures de confinement vont précariser davantage ceux qui
se nourrissent d’invendus et vivent dans la rue et les bidonvilles, où ils courent déjà le risque de contracter le Covid­19, prévient le membre du Secours catholique. Le gouvernement pense étrange­ment qu’en prolongeant de deux mois la période hivernale (donc celle des hébergements temporai­res), il a prouvé son souci des plus pau­vres. Décision louable, même s’il fau­drait qu’il n’y ait plus du tout de période hivernale : on a besoin d’être logé tout le temps. Outre le besoin permanent d’un toit, existe aussi celui de manger ! Or, dans ces deux domaines, les mesures

prises pour lutter contre l’épidémie vont représenter une catastrophe pour les plus pauvres. Comme tous, ils sont exposés au coronavirus. Mais, en plus, ils risquent de mourir de faim ou, du
moins, de s’affaiblir tant qu’ils seront encore plus fragiles et donc encore plus vite victimes du virus. Exagération ?
Rappelons juste comment, quand on est dans la rue, on se nourrit, comment on gagne son pain.
Mais d’abord quelques chiffres pour situer le problème, humainement très important, mais quantitativement « rai­sonnable », et donc gérable. Selon le recensement de 2012 de l’Insee, il y avait en France 141 500 personnes sans domi­cile. Il faut y ajouter de 15 000 à 20 000 personnes vivant en bidonville, soit quelque 160 000 personnes, dont 110 000 en hôtels sociaux et héberge-
ments divers. Huit ans après ce recense­ment, faute de nouveaux chiffres (il est absurde de ne pas mesurer le nombre de ceux qui bénéficient de politiques publi­ques pour mieux évaluer l’efficacité de ces dernières et les objectiver, afin d’évi­ter les estimations délirantes), on ne peut que faire des approximations.
Le nombre de personnes hébergées est passé à plus de 150 000, dont environ 35 000 en hôtels. Les personnes vivant dans des bidonvilles sont toujours de 15 000 à 20 000 et ceux qui sont

vrai­ment dehors n’ont pas tellement aug­menté : les décomptes de la Ville de Paris sont assez stables depuis qu’ils intègrent les « habitants » du métro et quelques autres qui n’étaient pas notés dans son premier comptage. L’effet des migra­tions, d’où vient la progression, n’a pas été si élevé : nos limitations d’entrée sur le territoire s’avérant bien plus efficaces qu’on ne le croit et notre marché du tra­vail étant médiocre, notre pays est bien moins attirant que nous ne le croyons. On pourra discuter ces estimations à quelques milliers près, mais elles don­nent une idée des grandes masses.
Donc, comment ces gens gagnent-­ils leur vie ? Peu d’entre eux travaillent dans des emplois déclarés faute d’en avoir le droit (dans le cas des migrants en attente de régularisation) ou à cause de leur pré­carité (difficile d’avoir un emploi si l’on ne peut se laver ni dormir normalement) ou, pour certains, car ils ne maîtrisent pas le français ou sont peu qualifiés. Dès lors, ils peuvent se livrer, sans enthou­siasme, car cela rapporte peu tout en étant très fatigant et parfois humiliant, à
la mendicité, la fouille des poubelles, la récupération de métaux ou d’objets qu’ils revendent aux puces à bas prix. 

Ceux qui sont dans des hôtels n’ont pas le droit de faire la cuisine et doivent se  rabattre sur les kebabs et fast­foods. Où loger les « habitants du métro » ? La fermeture des lieux d’accueil et de dis­tribution de repas, des restaurants de tout type, y compris les plus modestes, celle probable des marchés… Tout cela va couper les approvisionnements des gens de la rue et des bidonvilles : plus de repas distribués, plus de lieux où souffler en prenant un café ou un hamburger ; plus de récupération auprès de restaurateurs attentionnés (plus nombreux qu’on ne l’imagine), beaucoup moins d’invendus de boulangeries (celles­-ci vont baisser fortement leur production puisque les chalands seront moins nombreux) ; beaucoup moins de récupération dans les poubelles d’aliments ou de biens à revendre puisque le confinement les li­mitera aussi. Une bonne partie des per­sonnes en hébergement bénéficient de repas servis par la structure d’héber­gement elle-­même. Cela devrait être assez aisé à mettre en place dans tout hébergement où n’existent pas encore ces distributions. Se pose ensuite la question des person­nes vivant dans des hôtels et des bidon­villes : tant que la vie normale n’aura pas repris, la collectivité doit trouver le moyen d’assurer leur approvisionne­ment. Soit en autorisant des volontaires à le faire, soit en le faisant faire par l’ar­mée. Cela serait certes étrange, mais nous avons déjà vite intégré des choses
hier impensables, comme vider toutes les écoles, fermer les restaurants et les salles de spectacles!
Il faut s’occuper de la nourriture, mais aussi de l’hébergement : par exemple, si les métros ferment à Paris, environ 300 personnes seront à la rue. Ces « ha­bitants du métro » sont souvent en grande détresse, leur hébergement sera d’autant plus nécessaire, avec un accom­pagnement indispensable. Mais qui pourra l’assurer si les associations ne peuvent travailler ?

Se pose aussi, pour beaucoup, la question des soins : avec une certaine efficacité, les pouvoirs s’emploient depuis des années à rendre difficile l’accès des migrants aux couver­tures de santé, comme s’ils avaient quitté leur pays juste pour bénéficier de la sécurité sociale : oui, cela arrive, mais il s’agit surtout de trouver du travail et d’avoir une vie meilleure ! Médicale­ment ouvertes ou pas, ces personnes, pour elles­-mêmes et pour la sécurité de tous, devront être soignées.
Enfin, contrairement à ce que l’on croit, nombre d’enfants des bidonvilles sont scolarisés. La fermeture des écoles est une catastrophe pour eux. Le surpeuplement, l’inconfort extrême ou l’insalubrité des lieux où ils vivent les empêche de tra­vailler. Le niveau d’instruction des parents ne leur permettra pas d’aider leurs enfants. Ce constat s’applique d’ailleurs bien au­-delà des bidonvilles et concerne tous ceux qui sont trop pauvres ou de niveau trop faible pour accompa­-
gner leurs enfants. D’autant, bien sûr, que les ordinateurs, outils de l’enseignement à distance, sont fort rares dans ces mi­lieux. Que l’Etat es-t-­il prêt à faire pour que ces élèves puissent se maintenir à flot ?
Nourriture, hébergement, école. Les besoins essentiels sont considérables, mais le nombre de personnes concernées n’est pas si important qu’on l’imagine. Il est encore possible d’éviter que cette crise sanitaire se traduise par une double, voire une triple peine pour les plus pauvres. Le
ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a estimé que l’épidémie allait coûter à la France des dizaines de milliards d’euros. Il serait inimaginable qu’on ne puisse en utiliser quelques millions pour aider ces populations en détresse. 
                                                                                                                             Nicolas Clément 

                                                                           responsable  d’équipes d’accompagnement
                                                                           de familles à la rue et en bidonville
                                                                           au Secours catholique



03/04/2020
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi