La Croix prend position dans le duel Macron - Le Pen
Editorial de Jérôme Chapuis, Directeur de la rédaction
La responsabilité d’un journal n’est pas de dicter une conduite. En période électorale, notre rôle consiste, parmi d’autres, à éclairer le choix de nos lecteurs. S’il s’agit de les orienter, cela s’entend au sens de donner des repères et non d’asséner slogans ou consignes. Il arrive pourtant que les circonstances exigent de prendre position clairement et sans détour. C’est le cas aujourd’hui. La menace historique que ferait peser une élection de Marine Le Pen conduit La Croix à apporter son soutien à Emmanuel Macron en vue du second tour de la présidentielle.
Sans détour ne veut pas dire sans réserve. Il y a beaucoup à dire sur le bilan comme sur le projet du président sortant. Parmi les premiers motifs qu’énoncent des catholiques qui ont décidé de ne plus voter pour lui figurent l’allongement des délais d’IVG, l’extension de la PMA et la perspective de l’euthanasie. La Croix partage ces inquiétudes et continuera d’exprimer son opposition sans relâche. Mais il faut être lucide : sur ce sujet, le décalage est immense entre les préoccupations de la société française et celles exprimées par l’Église et ses fidèles. Ce qui constitue un point dur aux yeux de ces derniers n’a fait l’objet d’aucune question au cours du débat de mercredi soir.
Situer la réflexion sur ce seul plan conduit à s’aveugler sur d’autres points essentiels. Marine Le Pen est une candidate d’extrême droite. Son programme comporte le risque d’atteintes irrémédiables à l’équilibre des pouvoirs, à la liberté religieuse et aux principes élémentaires de solidarité envers les plus démunis, à commencer par les migrants qui fuient la guerre ou la misère. Son projet n’a de rassembleur que le nom : le nationalisme qui en constitue la toile de fond finit immanquablement par produire division et violence, comme l’illustre tragiquement l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Quand la guerre fait rage en Europe, il y a d’autres urgences que d’ouvrir un front avec l’Allemagne ou de risquer une paralysie de l’Union européenne. Les affinités de Marine Le Pen la relient à Trump et Poutine, adversaires déclarés de l’UE. Ceux qui n’ont de cesse que de saper par tous les moyens le camp de la démocratie seraient les premiers à se réjouir de sa victoire.
La reconduction d’Emmanuel Macron ne ferait pas disparaître par magie les profondes fractures qui traversent la société française. Il n’est plus l’homme neuf qui a fait irruption voilà quelques années sur la scène politique. Les Français connaissent ses limites. Ils ont vu ses tergiversations sur l’écologie, s’agacent de son libéralisme ou de sa prétention à incarner à lui seul le camp de la raison. Il faut s’y résoudre : la réélection d’un sortant est rarement un vote d’enthousiasme. Elle reste cependant à nos yeux la seule option souhaitable. Mais elle devra ouvrir sur une reconstruction en profondeur de nos institutions démocratiques et notamment de partis politiques afin qu’ils s’opposent sur des clivages plus sains.
Si la prise de position de La Croix est la même qu’en 2017, les circonstances ont changé. L’opinion s’est durcie, l’attrait pour les extrêmes est plus fort, et les catholiques ne font pas exception. Pour notre journal, cela implique d’assumer un désaccord avec une partie de ses lecteurs. Sans autre ambition que d’affirmer des valeurs importantes pour la vie en société et de servir avec honnêteté le débat public.
A découvrir aussi
- Beurre de karité pour le Burkina Fasso
- Véronique Devise, nouvelle présidente du Secours Catholique
- Le Crucifié, attaque de Caritas Marioupol