Amicale du Réseau Caritas-France

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Caritas Internationalis, de tristesse en désillusion, transmis par Michel Raimondo

Caritas internationalis dans l’œil du Vatican : une mise sous tutelle et des questions
L’annonce de la mise sous tutelle provisoire de Caritas Internationalis le 22 novembre par décret du pape François soulève bon nombre de questions et jette une lumière nouvelle sur les rapports de force à la Curie.
Par Marie-Lucile Kubacki à  Rome Publié le 23/11/2022 à 18h07,

Jusqu'au 22 novembre, le cardinal Luis Antonio Tagle était le président de Caritas Internationalis. • ROMAIN DOUCELIN/SIPA
C’est une nouvelle qui est tombée brutalement, comme un couperet, et à la stupéfaction générale. Le 22 novembre, le Vatican a annoncé la mise sous tutelle provisoire de Caritas Internationalis (CI) – réseau dont est membre le Secours catholique en France – par décret du pape François, dont le texte a été lu devant les représentants des Caritas du monde entier réunis Villa Aurélia à Rome par celui qui en était jusque-là le président, le cardinal Luis Antonio Tagle.

Ce dernier a donc annoncé lui-même qu’il n’était plus président, même s’il n’est pas totalement éjecté de la structure puisqu’il reste chargé des relations entre CI et les Églises locales et les organisations membres.

« Oui, cette nouvelle peut peut-être apporter une certaine inquiétude ou confusion à certains d’entre vous. Mais vous devez être assurés du fait que cette décision du Saint-Père est intervenue après une étude attentive et indépendante de l’environnement de travail du Secrétariat et de la gouvernance exercée par les personnes et les organes responsables », a-t-il déclaré, dans une tentative de rassurer un auditoire sidéré. 

Le secrétaire général, Aloysius John, notamment, est suspendu de ses fonctions et une nouvelle équipe de direction est nommée à titre provisoire au siège romain, jusqu’à la prochaine assemblée générale en mai prochain. Jusqu’à cette échéance, toutes les nominations à la direction de CI sont gelées.
Un malaise dans le management
Que s’est-il passé pour en arriver là ? « Je voudrais vous assurer qu’il ne s’agit pas, a martelé le cardinal à trois reprises, ainsi que le rapporte Vatican News, média officiel du Saint-Siège, de harcèlement ou d’abus sexuel. Il ne s’agit pas non plus d’une mauvaise gestion de l’argent. Il ne s’agit pas de cela. Le décret indique clairement son intention. »

Une précision qui n’est pas superflue dans le contexte actuel, où les scandales à répétition minent la confiance des fidèles. Le communiqué de presse du Dicastère pour le développement humain intégral – dont dépend CI – insiste bien sur le fait que le travail d’audit mené par un groupe d’experts indépendants composé de psychologues italiens (dont les noms sont donnés, gage de la transparence de la démarche) n’a fait émerger aucun scandale d’ordre sexuel ou financier.

En revanche, dans une phrase dont le Vatican a le secret, il est mentionné que « d’autres thèmes importants et domaines nécessitant une attention urgente » ont attiré l’attention au cours de l’enquête. Lesquels ? Toujours selon le communiqué : « des faiblesses dans les procédures de gestion », avec « un effet négatif sur l’esprit d’équipe et le moral du personnel ». En clair : un malaise dans le management. 

L’agence américaine Reuters rapporte que des membres du personnel actuels et passés de CI ont rapporté avoir été victimes « d’abus de langage », de problèmes liés à des pratiques de « favoritisme », et globalement d’une mauvaise politique de ressources humaines qui les auraient poussés au départ. Deux bons connaisseurs de Caritas et un ancien employé, témoignant anonymement pour Reuters, estiment que « le décret visait les pratiques de gestion du bureau du secrétaire général sortant et du conseil d’administration ». L’ancien employé évoquant des départs du siège romain « en raison d’un climat d’intimidation, de peur et d'"humiliation rituelle" ».
Des motivations multiples

Dans ce contexte, l’objectif de cette reprise en main est « d’améliorer les normes et procédures de gestion » de CI, selon le communiqué, mais aussi de « mieux servir les organisations caritatives membres de la confédération dans le monde ». En somme, d’assainir le management, et peut-être initier une réforme qui ne dit pas encore son nom. C’est la thèse, par exemple, du vaticaniste italien Andrea Gagliarducci, qui relève qu’à chaque fois que le pape François veut réformer une structure, il commence par ordonner une inspection. 

Ainsi, un administrateur, Pier Francesco Pinelli, consultant en organisation, a été nommé, assisté d’une cadre de Caritas, Maria Amparo Alonso Escobar, actuelle responsable des campagnes de CI, et d’un prêtre jésuite, Manuel Morujão, « pour l’accompagnement personnel et spirituel du personnel ». Charge à eux d’administrer la structure « pour assurer une stabilité et un leadership empathique », jusqu’à la prochaine assemblée générale de l’organisation en mai 2023, où seront élus un nouveau président, un secrétaire général et un trésorier.

En marge de la rencontre, Pier Francesco Pinelli a confié à Vatican News que son intention dans ce nouveau rôle était « avec toutes les personnes de Caritas Internationalis, d’initier des processus de réconciliation et d’amélioration qui puissent porter des fruits à long terme pour cette association qui existe depuis 70 ans ».

Une autre clé de lecture pour comprendre la décision du Vatican est l’explosion des besoins dans le monde, et donc de la demande adressée à CI. Lors de sa prise de parole, le cardinal Tagle a évoqué le choc suscité par la crise sanitaire du Covid-19 et la guerre en Ukraine.

« Ces dernières années, nous avons constaté une augmentation significative des demandes en provenance des nombreuses personnes que Caritas aide, et il est impératif que Caritas Internationalis soit bien préparée à relever ces défis », a quant à lui indiqué le cardinal Michael Czerny, préfet du Dicastère pour le développement humain intégral, également présent aux côtés du cardinal Tagle lors de l’annonce. 

En somme, les motivations de la décision vaticane semblent multiples. Beaucoup dans les milieux proches de CI s’interrogent. Si l’on reconnaît que certains fonctionnements méritaient d’être améliorés, et si certaines personnalités étaient controversées en interne, était-il nécessaire d’en passer par une remise en cause aussi profonde de l’organisation ? Des craintes s’expriment aussi sur les conséquences possibles que cela pourrait avoir sur l’autonomie de l’organisation et sur le travail qu’elle accomplit.
Une ombre dans le parcours de Luis Antonio Tagle

Cette affaire, enfin, prend une résonance particulière dans le climat de « fin de règne » qui plane depuis plusieurs mois au Vatican. Dans le jeu des rapports de force de la Curie, c’est la première fois que le cardinal philippin Luis Antonio Tagle, ancien archevêque de Manille qui a connu une ascension ininterrompue depuis son accession au cardinalat en 2012, sous Benoît XVI, jusqu’à sa nomination en 2019 comme « pape rouge », préfet de Propaganda fide, la Congrégation pour l’évangélisation des peuples (qui avec la réforme de la Curie est devenue, après fusion avec le Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation, le Dicastère pour l’évangélisation, dicastère désormais le plus « important » dans l’ordre de préséance), voit une ombre jetée sur son parcours. En effet, il se trouve rétrogradé de sa fonction de président de CI pour devenir simple membre d’une équipe assurant la transition avant l’élection de son successeur.

Longtemps qualifié d’« étoile montante du Vatican », même si son étoile avait déjà un peu pâli avant cette affaire, il restait considéré comme un des hommes les plus puissants de la Curie, évoqué parfois parmi les successeurs possibles de François. Depuis l’annonce du 22 novembre, c’est vers lui que convergent tous les regards.

Remise en cause personnelle ou « dommage collatéral » d’une décision qui le dépasse ? Pour l’heure, il est trop tôt pour tirer des conclusions car, si le pape François n’a pas cherché à épargner le cardinal Tagle dans l’opération, il ne l’a pas non plus totalement écarté pendant la période de tutelle. Depuis quelques mois, le nom de Luis Antonio Tagle circule aussi parmi les pressentis pour succéder à Marc Ouellet, préfet de l’important Dicastère pour les évêques (qui a dépassé la limite d’âge des 75 ans). Dans ce contexte, il sera intéressant de suivre son devenir lors des prochaines nominations à la Curie.
L'autorité de Michael Czerny renforcée

En revanche, à l’inverse du cardinal Tagle, qui voit sa position fragilisée, le cardinal Michael Czerny, préfet du Dicastère pour le développement humain intégral – dont dépend CI –, voit son autorité renforcée. Ce jésuite canadien au caractère bien trempé, qui a servi au Salvador et en Afrique, très engagé dans la lutte contre les inégalités, l’écologie et la défense des migrants, fait partie du cercle proche du pape.

Après lui avoir confié la section migrants et réfugiés du Dicastère pour le développement humain intégral et l’avoir créé cardinal, François l’a choisi en 2022 pour prendre la tête de ce dicastère hautement stratégique, puisqu’il exerce un rôle diplomatique réel – même s'il est différent de celui de la Secrétairerie d’État – et qu’il touche aux questions les plus chères aux yeux de François.

Ainsi, la décision concernant Caritas Internationalis positionne plus que jamais Michael Czerny comme un des hommes forts du pontificat. Preuve que, si les questions qui se posent aujourd’hui autour de l’organisation caritative sont au centre de l’attention, il n’est pas inutile de regarder aussi ce que cette crise particulière révèle d’un contexte plus général.

Par Marie-Lucile Kubacki à Rome Vatican
Pape François
Tagle luis antonio
Caritas international



29/11/2022
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